16.03.23
15:24

Le 49.3, le mal-aimé de la République française

L'article 49.3, arme constitutionnelle dégainée jeudi pour la 100e fois sous la Ve République par Elisabeth Borne, est souvent décrié comme un "déni de démocratie", car il permet au gouvernement de passer en force quand la majorité n'est pas garantie.

"Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un texte", stipule la Constitution à l'article 49, alinéa 3, qui permet ainsi l'adoption d'un projet de loi sans l'approbation des députés. 

"Dans ce cas, ce texte est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les 24 heures qui suivent, est votée", précise-t-elle. 

"Le 49.3 est mal-aimé car il fait pression sur les députés et porte atteinte au principe de la sincérité du débat parlementaire", explique à l'AFP le constitutionnaliste Dominique Rousseau.

Une mauvaise réputation acquise au fil des législatures, mais qui n'a pas empêché les gouvernements successifs de la Ve République de trouver leur intérêt dans une disposition qui a sauvé bien des majorités.

"Roulette russe ou grosse Bertha": le patron des sénateurs Les Républicains, Bruno Retailleau, a présenté ainsi le choix cornélien devant lequel se trouvait la Première ministre pour faire adopter l'impopulaire réforme des retraites d'Emmanuel Macron.

Avec une majorité relative à l'Assemblée nationale, la cheffe du gouvernement aurait pu prendre le risque de la soumettre au vote si le soutien des députés de droite était acquis.

Mais les comptages montraient une marge de manoeuvre extrêmement faible, avec notamment des divisions au sein des Républicains, et, dans le doute, elle a préféré avoir recours à l'arme constitutionnelle.

Rien de "honteux", estime le patron du MoDem François Bayrou, parti allié de la majorité.

Son recours pourrait toutefois durcir le mouvement social contre la réforme, comme ont averti plusieurs leaders syndicaux, et crisper une opinion publique majoritairement hostile au projet du gouvernement.

La réforme sera ainsi adoptée sans vote sauf si une motion de censure était déposée dans les 24 heures puis votée par l'Assemblée nationale.

 

"Déni de démocratie"

 

Il n'est pas rare que ceux qui dénoncent le 49.3 lorsqu'ils sont dans l'opposition changent d'avis lorsqu'ils arrivent aux affaires. 

"Un déni de démocratie", s'était emporté le député François Hollande en 2006 pour dénoncer son utilisation par le Premier ministre Dominique de Villepin. 

Une dizaine d'années plus tard, sous son quinquennat, son Premier ministre Manuel Valls l'a utilisé à six reprises. 

"Lorsqu'on n'a pas de majorité ou qu'elle n'est pas garantie à l'Assemblée nationale, on recourt au 49.3, soit pour la discipliner - c'était le cas des frondeurs sous François Hollande - soit parce qu'on n'est pas sûr d'obtenir suffisamment de voix", souligne Dominique Rousseau. 

"S'il n'y a pas de majorité pour, la motion de censure fait la démonstration qu'il n'y a pas de majorité contre", ajoute-t-il.

Avec onze 49.3 depuis son arrivée à Matignon au printemps dernier, Mme Borne conforte sa deuxième place au classement des chefs de gouvernement qui y ont eu le plus recours, loin derrière le champion Michel Rocard (28), qui ne disposait lui aussi que d'une majorité relative entre 1988 et 1991. 

Au total, 16 Premiers ministres l'ont utilisé depuis 1958. Sans aucune conséquence pour eux. Tous ont survécu aux motions de censure déposées par l'opposition.

Michel Rocard avait toutefois connu quelques frayeurs le 16 novembre 1991 avec 284 députés qui ont voté la motion sur les 289 requis. 

Dans la configuration actuelle de l'Assemblée nationale, il faudrait que toutes les oppositions la soutiennent, non seulement la gauche et le Rassemblement national, mais aussi une partie des députés de droite. 

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