Ulf Kristersson, le Premier ministre suédois qui a tendu la main à l'extrême droite
Il est devenu lundi le premier chef de gouvernement suédois élu avec les voix de l'extrême droite: le dirigeant conservateur Ulf Kristersson est un ancien gymnaste qui a réussi l'acrobatie d'unir les droites, au risque d'y perdre l'équilibre.
Petites lunettes rondes et physique de poids plume, sourire éclatant, "Uffe" - son surnom chez ses partisans - a fait campagne sur les thèmes de l'insécurité et de la flambée des prix de l'énergie.
"Remettre de l'ordre en Suède", disait-il dans un slogan très droitier sur ses affiches pour les élections du 11 septembre.
Avec un compagnon omniprésent: son chien de chasse Winston, un welsh springer spaniel reçu en cadeau de consolation après sa défaite aux élections de 2018.
A l'époque, le leader des Modérés - le nom de son parti - jure de ne pas entamer de pourparlers avec le parti nationaliste et anti-immigration des Démocrates de Suède (SD). Il échoue alors d'un rien dans sa tentative de reprendre le pouvoir à la gauche social-démocrate.
Quatre ans plus tard, il tient sa revanche, au prix d'un rapprochement inédit entamé fin 2019 avec les SD.
La seule voie pour revenir au pouvoir après huit ans de gauche, selon ses soutiens, un pacte faustien pour ses détracteurs.
"Mon côté de la politique", dit-il désormais pour qualifier l'attelage entre trois partis de la droite traditionnelle et les nationalistes.
Seuls les trois premiers (Modérés, Chrétiens-démocrates, Libéraux) figureront au gouvernement annoncé mardi, mais les quatre formations ont présenté ensemble vendredi un programme de 62 pages négocié pied à pied ces dernières semaines.
Diplômé d'économie et féru de Tintin, marié et père de trois filles adoptées de Chine, Ulf Kristersson a mené aux standards suédois une campagne de droite dure.
Il a dénoncé l'impuissance de la gauche face aux graves règlements de compte sanglants des bandes criminelles en Suède, quitte à ce que les critiques le qualifient de "SD light".
- "Serrurier" des SD -
Le dirigeant de la droite s'est également engagé à faire baisser les prix galopants de l'énergie, après ce que des analystes ont baptisé "l'élection de l'électricité".
Sa nouvelle alliance a annoncé vendredi la construction de nouveaux réacteurs nucléaires, après des décennies de baisse de la part de l'atome en Suède.
Malgré leur absence du gouvernement, le programme témoigne de l'influence sans précédent des Démocrates de Suède, selon les analystes.
En les amenant aux portes du pouvoir, M. Kristersson pourrait "ne rester dans l'histoire que comme le serrurier des SD", a prophétisé le quotidien centriste Dagens Nyheter.
Pour le Premier ministre, l'avenir reste semé d'embûches: les SD ont ravi aux Modérés la place de deuxième parti de Suède que ces derniers occupaient depuis 40 ans. Et le parti conservateur a encore perdu des voix.
Né à Lund, dans le sud de la Suède, le jeune Ulf entre en politique dès le lycée pour arriver quelques années plus tard à la tête des jeunes Modérés.
Il gravit rapidement les échelons et entre au Parlement en tant que suppléant en 1991, puis est élu en 1994.
Rival perdant du futur Premier ministre Fredrik Reinfeldt (2006-2014), il embrasse quand il ne siège pas au Parlement une carrière de communicant ou de cadre dans une structure proche du patronat ou d'une organisation dévolue à l'adoption.
Longtemps indécise, la victoire de justesse de l'alliance droite/extrême droite l'a sauvé d'une probable mort politique en cas de deuxième défaite de rang.
"La vision que les Modérés ont d'un chef de parti est quelque peu semblable à celle d'un PDG d'une entreprise privée. Tant que ça se passe bien, il peut rester, mais si ça tourne mal, il s'en va le jour même", explique Torbjörn Nilsson, professeur d'histoire à l'université de Södertörn et spécialiste de l'histoire politique suédoise.
En tant que Premier ministre, M. Kristersson doit assurer la présidence suédoise de l'Union européenne au premier semestre 2023. Et voir l'entrée du pays dans l'Otan, à condition de lever l'actuel blocage turc, son dossier diplomatique le plus épineux.