L'Otan lance formellement le processus d'adhésion de la Suède et de la Finlande
Les dirigeants de l'Otan ont lancé formellement mercredi, lors de leur sommet à Madrid, le processus d'adhésion de la Suède et de la Finlande, rendue possible par la levée du veto turc mardi soir.
"Nous avons décidé aujourd'hui d'inviter la Finlande et la Suède à devenir des membres de l'Otan et avons décidé de signer les protocoles d'adhésion", ont dit les dirigeants de l'Alliance dans une déclaration commune.
Le veto turc
Obstacle depuis la mi-mai à l'entrée de la Suède et de la Finlande dans l'Otan, le président turc Recep Tayyip Erdogan a fini par lever son veto mardi, évitant un revers à l'Alliance qui ouvre son sommet à Madrid.
"Je suis ravi d'annoncer que nous avons un accord qui ouvre la voie à l'entrée de la Finlande et de la Suède dans l'Otan" et qui répond "aux inquiétudes de la Turquie sur les exportations d'armes et sur la lutte contre le terrorisme", a déclaré le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg devant la presse.
Les membres de l'Otan vont donc pouvoir "inviter" officiellement mercredi les deux pays nordiques à rejoindre l'Alliance, a-t-il ajouté.
Dans un communiqué publié par la Maison Blanche, le président américain Joe Biden a "félicité la Turquie, la Finlande et la Suède" pour la signature de cet accord. L'intégration de la Finlande et de la Suède va "renforcer la sécurité collective de l'Otan et va bénéficier à l'ensemble de l'Alliance transatlantique", a écrit M. Biden. "Alors que nous commençons ce sommet historique à Madrid, notre Alliance est forte, plus unie et plus déterminée que jamais", a-t-il poursuivi.
L'entrée formelle des deux pays, qui doit être ratifiée par les parlements des 30 Etats membres de l'Alliance, est un long processus qui prend des mois.
Après plusieurs salves de négociations ces dernières semaines, l'homme fort d'Ankara s'était réuni plusieurs heures dès son arrivée à Madrid avec son homologue finlandais Sauli Niinistö et la Première ministre suédoise Magdalena Andersson.
Avant la signature formelle d'un accord dont M. Stoltenberg a ensuite rendu compte devant la presse.
Ankara a eu "ce qu'elle voulait"
La Turquie bloquait l'adhésion de la Suède et de la Finlande car elle les accusait d'abriter des militants de l'organisation kurde PKK, qu'elle considère comme "terroriste".
Elle dénonçait également la présence dans ces pays de partisans du prédicateur Fethullah Gülen, soupçonné d'avoir orchestré une tentative de coup d'État en Turquie en juillet 2016.
Et exigeait par ailleurs la levée des blocages d'exportations d'armes décidés à son encontre par Stockholm après l'intervention militaire turque dans le nord de la Syrie en octobre 2019.
Selon M. Stoltenberg, dans le cadre de cet accord, les deux pays nordiques se sont engagés à "renforcer leur coopération" en matière de lutte contre le terrorisme avec Ankara et à s'entendre sur des "extraditions" de membres d'organisations kurdes que la Turquie considère comme "terroristes".
"La Turquie a obtenu ce qu'elle voulait", c'est-à-dire la "pleine coopération" des pays nordiques contre le PKK et ses alliés, a déclaré la présidence turque dans son communiqué.
Dans un entretien avec l'AFP, Magdalena Andersson a salué une "étape très importante pour l'Otan" car les deux pays nordiques, qui ont décidé d'abandonner leur neutralité depuis l'invasion russe de l'Ukraine, "seront pourvoyeurs de sécurité au sein" de l'Alliance.
"Pas de concessions" de Washington
Ce feu vert d'Ankara à l'entrée des deux pays nordiques avait été immédiatement salué par un haut responsable de la Maison Blanche, selon lequel il donne un "élan puissant" à l'unité occidentale en cette période troublée par la guerre en Ukraine.
Le Premier ministre britannique Boris Johnson a estimé pour sa part que l'adhésion des deux pays nordiques allait rendre l'Alliance "plus forte et plus sûre".
Washington a affirmé que la Turquie n'a pas fait "de demande particulière de concessions aux Américains" pour lever son opposition à l'entrée de la Finlande et de la Suède dans l'Otan.
M. Erdogan doit rencontrer mercredi Joe Biden en marge du sommet.
Avant de partir pour Madrid, le président turc avait souligné que le "sujet le plus important" entre Ankara et Washington était "celui des F-16", en référence aux avions de chasse commandés et partiellement payés par Ankara, mais dont Washington a suspendu le contrat de livraison après que la Turquie a acquis un système de défense russe S-400.
La dernière rencontre entre MM. Biden et Erdogan, après des mois de brouille entre Ankara et Washington, remonte au mois d'octobre dernier à Rome, en marge du G-20, le sommet des 20 pays les plus industrialisés.
La Suède entre soulagement et inquiétude
Après l'accord surprise signé avec la Turquie à Madrid sur l'adhésion à l'Otan, la Suède est partagée entre le soulagement et l'inquiétude de partis de gauche et de la communauté kurde sur les concessions faites à Ankara.
"Nous ne nous sommes pas couchés devant (le président turc Recep Tayyip) Erdogan", a affirmé mercredi depuis Madrid la cheffe de la diplomatie suédoise Ann Linde.
"Nous ne procèderons pas à une extradition quand il n'y a pas de preuve d'activité terroriste. Il n'y a aucune raison pour les Kurdes de croire que leurs droits humains ou démocratiques soient menacés", a assuré la ministre des Affaires étrangères dans un entretien au journal Aftonbladet.
Le "mémorandum d'accord" visant à lever le veto turc a été signé avec la Turquie et la Finlande devant les caméras au sommet de l'Otan à Madrid, avec un soulagement visible côté nordique.
Face à une Russie désormais considérée comme une menace depuis son invasion de l'Ukraine, l'inquiétude était de voir le dossier traîner en longueur pendant des mois, repoussant d'autant le parapluie de défense otanien, réservés aux seuls membres de plein droit de l'Alliance atlantique.
Le texte se veut un compromis sur les trois principales exigences d'Ankara: levée des restrictions des exportations d'armes vers la Turquie, changement d'attitude vis-à-vis des groupes kurdes classés comme "terroristes" par Ankara, et extraditions de militants kurdes ou gulénistes résidant dans les deux pays.
Sur les exportations d'armes, de facto bloquées depuis l'invertion militaire turque en Syrie d'octobre 2019, "la Finlande et la Suède confirment qu'il n'y a pas d'embargo national" et Stockholm s'engage à assouplir sa doctrine d'export vis-à-vis des pays membres de l'Otan.
Sur les groupes kurdes, Stockholm et Helsinki confirment qu'ils classent le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) comme une organisation terroriste et s'engagent à "ne pas soutenir" ses alliés des YPG en Syrie.
Quant aux dossiers d'extradition, ils seront examinés "promptement et minutieusement" en "prenant en compte" les renseignements turcs.
Inquiétudes
La Suède a-t-elle trop cédé? Deux partis de gauche qui appuient le gouvernement social-démocrate au parlement, ainsi que de nombreux représentants de la communauté kurde - estimée à 100.000 personnes dans le pays scandinave - s'inquiètent.
"Maintenant nous devons jouer cartes sur table. Est-ce-que la Suède doit armer la Turquie dans sa guerre d'agression en Syrie? Est-ce-que des critiques du régime doivent être expulsés?", a affirmé la dirigeante du parti de gauche Nooshi Dadgostar sur Twitter, redoutant de voir son pays se mettre "entre les mains du despote Erdogan".
Les écologistes ont demandé à la ministre Linde de s'expliquer au plus vite devant la commission des Affaires étrangères, jugeant "très inquiétants" les compromis sur les armes et les extraditions.
"Je suis inquiet pour les Kurdes en Suède", a déclaré à l'AFP Kurdo Baksi, militant des droits humains et journaliste suédois d’origine kurde. "Les Kurdes qui ne sont pas encore citoyens suédois et qui ont fui la persécution de la Turquie en Suède vont s'inquiéter pour la suite", redoute-t-il.
Un autre point de préoccupation concerne un éventuel revirement turc. L'encre de l'accord à peine sèche, Ankara a immédiatement réclamé à Stockholm et Helsinki l'extradition de 33 personnes qu'elle soupçonne de "terrorisme".
"Je peux juste espérer que la Turquie ne va pas changer d'opinion en cours de route lors des négociations et de la ratification", a déclaré l'ancien Premier ministre suédois Carl Bildt sur Twitter, relevant "l'imprévisibilité" du comportement diplomatique d'Ankara.
Outre un feu vert lors d'une première phase d'adhésion, tous les 30 membres actuels de l'Otan, dont la Turquie, doivent ensuite ratifier l'entrée de la Suède et la Finlande.
Sauf nouveau blocage, l'automne est considéré comme un horizon réaliste pour une entrée des deux pays dans l'alliance.