08.02.22
16:28

Frank Robben quitte l'APD: les coulisses d'une démission devenue inéluctable

"Rien à me reprocher; un véritable soulagement; la fin d’une tragédie grecque; il reviendra...": les coulisses d'une démission devenue inéluctable.

Entre apaisement et inquiétudes, le départ de Frank Robben de l’APD ne laisse personne indifférent… C’était dans l’air depuis plusieurs semaines. Frank Robben a envoyé officiellement sa lettre de démission, en tant que membre externe du Centre de Connaissances de l’Autorité de protection des données (APD), ce lundi soir à la présidente de la Chambre, Eliane Tillieux (PS). Une démission qui arrive à point nommé pour la Belgique, mise dos au mur par la Commission Européenne, qui avait activé une procédure en infraction grave au RGPD contre notre pays en raison des problèmes d’indépendance qui minaient l’APD depuis des années.

 

"Vandenbroucke a été contraint de lâcher Robben"

Selon nos informations, le week-end a été assez intense en coups de téléphones pour les membres les plus éminents de la Vivaldi. Le Premier ministre Alexander De Croo et Ursula Von Der Leyen, la présidente de la Commission Européenne, se seraient parlé longuement. "Et il semblait très clair, après ces échanges, que la Cour de Justice de l’UE allait être saisie début de cette semaine. La réponse du gouvernement belge aux problèmes rencontrés par l’APD n’avait pas été jugée satisfaisante. De Croo n’avait plus le choix", nous confie un interlocuteur. En effet, le Commissaire Didier Reynders avait laissé à la Belgique jusqu’au 12 janvier pour trouver une solution. Mais la réponse, transmise sur le fil, et promettant une réforme de l’APD, ne permettait pas de résoudre immédiatement les incompatibilités, déjà maintes fois relevées.

Résultat, le Premier passe dans la foulée un coup de fil à Frank Vandenbroucke, Ministre de la Santé (Vooruit), et surtout grand défenseur de Frank Robben, qui mériterait une "statue", selon, lui en vertu de son apport dans la gestion de la crise Covid, pour l’avertir de la situation critique. Ce dernier accepte le verdict, et informe Robben des derniers éléments qui se jouent en coulisses, le principal concerné n’a dès lors plus le choix. Ce qui entraine de facto la démission de celui qu’on présente souvent comme le grand architecte des données en Belgique.

 

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"Je n’ai rien à me reprocher"

Contacté par nos soins, Frank Robben a refusé, une fois de plus, notre demande d’interview et renvoie à un communiqué diffusé sur son site internet personnel, où il affirme s’être battu ces dernières années "pour une forte protection de notre vie privée, dans un juste équilibre entre tous les droits fondamentaux, et toujours en toute indépendance." Et ajoute ensuite : "Dans mon rôle de membre externe du Centre de Connaissances, j’ai toujours strictement évité les conflits d’intérêts éventuels. Je regrette les déformations qui sont apparues dans l’opinion publique à cet égard. Je n’ai rien à me reprocher et je reste préoccupé par l’avenir de l’APD. Mais en même temps, je ne souhaite pas voir la Belgique renvoyée devant la Cour de justice européenne en raison d’un prétendu manque d’indépendance de l’APD."

 

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"Si on en arrive là, c’est parce que le parlement a eu les chocottes"

Au sein de l’APD, cette démission fait évidemment réagir, toujours à mots couverts par peur de représailles. "L’enseignement principal de toute cette histoire, c’est que le parlement a eu les chocottes, il n’a jamais osé jouer son rôle, ni contrarié Frank Robben, et n’aurait jamais dû le nommer. Notre gouvernement était apathique. La seule institution qui a réussi à faire bouger les choses c’est la Commission Européenne. Cet épisode reste lamentable et en dit long sur l’état de notre démocratie", glisse une source interne.

D’autres confient leur incrédulité: "Je suis très mal à l’aise quand je lis que le bonhomme estime n’avoir rien à se reprocher. De toute évidence, il a déjà oublié toutes les fois où il ne voulait pas quitter les réunions pour lesquelles il y avait des conflits d’intérêts, vu sa participation aux projets. Il faut rester vigilant pour éviter de prochains coups fourrés envers la sécurité de nos données. Car le problème d’indépendance à l’APD ne se limite pas à Frank Robben."

 

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La Chambre respire…..mais ne peut se rendormir

Du côté des députés du parlement fédéral, tous et toutes se félicitent de cette démission. Mais avec des tonalités différentes. Suiveur du dossier pour le PS, Khalil Aouasti salue une décision "qui va permettre d’apaiser pas mal de tensions" mais invite désormais les autres partis "à ne plus se focaliser uniquement sur Robben, à ne pas juste avoir cela en tête mais plutôt à envisager des réformes dans leur ensemble". Réaction du même acabit pour Ecolo avec Olivier Vajda qui "se réjouit de ce départ demandé depuis longtemps" tout en soulignant "qu’il y a encore du travail".

Notamment sur la poursuite de la procédure article 45, votée jeudi passé en plénière, et qui vise in fine à révoquer le mandat de l’actuel président de l’institution APD David Stevens mais aussi de la directrice Charlotte Dereppe, pour des motifs différents. Une phase dont l’épilogue est encore loin d’être acquis. Mais aussi sur l’avant-projet de loi de Mathieu Michel, modifiant la composition de l’APD et visant à rétablir son indépendance et efficacité, qui après un passage au Conseil d’Etat reviendra sur la table du gouvernement et devra, aussi et surtout, être débattu au parlement. Sans oublier enfin un nouveau problème, celui du quorum requis au sein du Centre de Connaissances, quorum nécessaire pour rendre des avis formels, vu le départ de Robben. Un appel à candidatures devrait être lancé dans les plus brefs délais par le parlement afin de respecter, enfin serait-on tenté de dire, le cadre légal.

 

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Un appel à candidatures qui risque, lui aussi, de faire des remous, pour ce proche du dossier: "Rien ne dit que le nouveau ou la nouvelle, ne sera pas un proche de Robben. Les parlementaires vont devoir nommer quelqu’un dans un domaine pour lequel eux-mêmes n’ont aucune expertise. Or, il ne faudrait pas que l’APD redevienne inféodée au pouvoir politique."

Le cabinet de la Présidente de la Chambre se borne à indiquer "avoir pris acte de cette démission. C’est maintenant aux services juridiques de préparer une note interne pour assurer la suite des événements". Car cette démission est une grande première, encore, pour l’institution.

 

"Sortir par la porte, ne donne pas ensuite le droit de rentrer par la fenêtre"

Au sein de l’opposition, l’inaction de la majorité Vivaldi est évidemment pointée du doigt. Pour Vanessa Matz (CDH), membre de la Commission Justice, c’est la "suite et pas fin de ce qui ressemble presque à une tragédie grecque. Il aura fallu le couperet de la Cour de justice pour que cet épisode lamentable, orchestré par la Vivaldi, mais surtout illégal s'achève…Mais il ne faudrait pas que Franck Robben rentre par la fenêtre grâce au projet de loi de Mathieu Michel, menaçant ainsi l'indépendance de l'APD. Nous y serons particulièrement attentifs."

Même son de cloche pour Nabil Boukili (PTB) : "Nous demandions depuis plus d’un an que le parlement réagisse et le révoque, ce travail parlementaire a été bloqué et saboté par la Vivaldi. La démission de M. Robben est une première bonne nouvelle dans ce dossier fort sombre. On la doit aux lanceuses d’alerte qui ont dénoncé la situation. On a maintenant la preuve qu’elles avaient raison depuis le début et pourtant Mme Dereppe fait l’objet de poursuites pour avoir tiré la sonnette d’alarme. Si la Vivaldi prend au sérieux la protection des lanceurs d’alerte, elle doit renoncer à ces poursuites vis-à-vis de Mme Dereppe et révoquer M. Stevens de son mandat. Et surtout prendre conscience que l’affaire Robben ne s’arrête pas à ses incompatibilités. M. Robben a 18 mandats en tout. Il dirige la Banque carrefour de sécurité sociale (qui gère nos données sociales), e-Health (données de santé) et également la eSMALS qui a la main sur toute l’informatique de l’Etat. Il faut mettre fin à cette situation malsaine où une seule personne concentre tous ces pouvoirs."

Mais cette "crainte" que Frank Robben revienne au sein de l’APD est-elle justifiée? "Cette démission ne change rien à l’avant-projet de loi de Mathieu Michel, qui vise le long terme, et n’est pas un texte anti Robben. Il faut être très clair, Robben ne pourra plus revenir comme expert, un rôle qui va d’ailleurs devenir consultatif et plus décisionnel, et rendre des avis contraignants. En revanche, l’APD, de sa propre initiative, à savoir celle de son futur nouveau Comité de Direction, pourrait demander des analyses à certains organismes, comme la BCSS ou la SMALS par exemple…Ce qui n’engage à rien et se fait partout ailleurs dans d’autres domaines", insiste un membre de l’entourage du Secrétaire d’Etat.

Sollicitée par nos soins, l’APD a dit espérer que "cette nouvelle apportera plus de sérénité, et permettra à l’avenir de mettre davantage en évidence le travail que fait l’autorité. Les défis en termes de protection des données sont nombreux, ce qui est important pour l’APD est de se tourner vers l’avenir."

 

Si le départ de Frank Robben représente le point culminant de cette saga, un nouveau tome est déjà en préparation. Avec le Comité de Sécurité de l’Information (CSI) pour qui l’avenir s’écrit en pointillé. Et des notions "Vie Privée" et "Protection des données" dont l’intérêt, certes ravivé depuis la crise sanitaire, ne percole encore que peu dans le quotidien de chacun. Or sans elles, un Etat peut parfois être mis échec et math. La partie est loin d’être finie.

 

Romuald La Morté

 

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