12.07.21
15:14

Birmanie: entre méfiance et espoir, peut-on sauver le pays de la junte?

En Birmanie, le "gouvernement fantôme" formé suite au coup d'Etat de l'armée tente de gagner la confiance parmi les Rohingyas. Des tentatives "douteuses", laissant les Rohingyas méfiants. Du côté de l'ONU, le Conseil des droits de l'homme a demandé ce lundi l'ouverture d'un processus de réconciliation. Un moyen pour sortir de la crise, dira-t-on.

Ce lundi, le "gouvernement fantôme" formé en réaction au coup d'Etat de l'armée en Birmanie a brisé un tabou en accueillant dans sa coalition anti-junte des représentants des Rohingyas, mais beaucoup au sein de cette minorité musulmane persécutée se méfient de cette main tendue. Cette méfiance met à mal le possible retour démocratique dans le pays. 

La Birmanie, à majorité bouddhiste, est en proie au chaos depuis que les militaires ont renversé le gouvernement d'Aung San Suu Kyi le 1er février, mettant fin à une parenthèse démocratique de dix ans et déclenchant une répression brutale contre les opposants. 

Accusée de génocide pour la sanglante répression de 2017 au cours de laquelle 700.000 Rohingyas ont fui au Bangladesh, l'armée birmane a même été “soutenue” par l'ancienne prix Nobel de la Paix, qui s'est déplacée à La Haye en 2020 pour défendre les généraux devant l'ONU. Quelques mois plus tard, ceux-ci l'ont malgré tout renversée par un coup d'État.

 

La méfiance demeure parmi les Rohingyas 

Des députés déchus de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), le parti d’Aung San Suu Kyi, ont créé un “gouvernement d’unité nationale” (NUG en anglais) en exil, cherchant à rallier des soutiens à leur résistance auprès de la communauté internationale. Le mois dernier, le NUG a invité les Rohingyas à “se donner la main” pour mettre fin au régime militaire. 

Il leur a promis que les centaines de milliers d’entre eux qui ont fui au Bangladesh après la violence répression de 2017 pourraient rentrer au pays. Il s’est aussi engagé à accorder la citoyenneté à cette minorité qui vit dans l’Etat de Rakhine (ouest), apatride et victime de discriminations depuis des décennies. 

L’utilisation du terme “Rohingyas” est également un pas vers eux, alors que le gouvernement d’Aung San Suu Kyi les a toujours appelés “les musulmans dans l'État de Rakhine”, pour ne pas heurter la sensibilité de l’ethnie majoritaire, les Bamar.

 

Vers une sortie de crise?

Cinq mois après le putsch, “la mobilisation n’a pas cessé, montrant la détermination populaire à en finir avec le règne militaire”, racontait Frédéric Debomy, spécialiste de la Birmanie et ancien président de l’association Info Birmanie à Paris, il y a quelques semaines sur son blog. En effet, la mobilisation civile contre le Conseil d’administration de l’Etat (SAC), constitué des militaires et de civils ralliés, a fait plus de 250 morts et plus de 2600 arrestations.

Après avoir tenté de le joindre, ce sont les dernières analyses sur le blog de Frédéric Debomy, spécialiste de la Birmanie et ancien président de l’association Info Birmanie à Paris, qui nous aident à mieux comprendre comment sortir le pays de la junte.

 

Négociation

Seule une négociation pourrait permettre de sortir de la crise birmane mais la junte refuse. Il faut donc l’isoler et multiplier les pressions sur elle, écrit Frédéric Debomy sur son blog. 

C’est ce que l’ambassadeur birman à l’ONU avait tenté de faire en mars dernier. Il avait appelé la communauté internationale à se lever pour faire échouer le coup : la junte l’a démis et a nommé son adjoint qui a démissionné. “Il faut continuer à isoler le régime”, insiste Frédéric Debomy. Et “continuer à reconnaître partout dans le monde les représentants du gouvernement démocratique.” 

Des pays proches de la Birmanie, soit  Singapour, les Philippines, la Malaisie et l’Indonésie, membres comme elle de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN), ont demandé la libération de ASSK, et critiqué cette escalade de violence. L’ASEAN a tenté une médiation, qui a été repoussée. 

La Chine et la Russie, détenteurs d’un droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies, freinent la mise sous pression du SAC par le Conseil. Les parties n'ayant pas officiellement condamné le coup d'État, jugeant  récemment la crise comme "une affaire domestique".L'ambassadeur chinois à l’ONU a toutefois prôné le “dialogue”, alléguant “revenir à une transition démocratique dans ce pays” mais “le SAC ne dialogue pas : il tue”, d’après le spécialiste. 

 

Vers une guerre civile?

Sur base d’autres observateurs et acteurs du dossier, Frédéric Debomy estime qu’il est nécessaire de mettre le SAC sous pression du point de vue économique. Le Dr. Sasa, représentant du comité représentatif du parlement, le CRPH, affirme qu'il est possible de le faire sans pénaliser les civils : “Nous ne voulons pas que les entreprises internationales implantées en Birmanie partent de notre pays (…) Par exemple, nous ne demandons pas à Total d’arrêter sa production, nous demandons simplement qu’ils ne versent pas d’argent au régime militaire, car ce régime est illégal et illégitime.”

Néanmoins, selon Frédéric Debomy, puisque les Birmans ne reçoivent pas le soutien nécessaire de la communauté internationale, un scénario de véritable guerre civile se dessine. Ceci dit, le Conseil des droits de l'homme (CDH) de l'ONU a finalement adopté ce lundi une résolution condamnant les violations des droits humains par l'armée birmane contre les Rohingyas et d'autres minorités, et demandé l'ouverture d'un processus de réconciliation.

Ce texte, qui était présenté par le Pakistan au nom des Etats membres de l'Organisation de la coopération islamique, a été approuvé sans vote. Toutefois, la Chine, qui est l'un des 47 Etats membres du CDH, a indiqué avant l'adoption de la résolution qu'elle n'adhérait pas au consensus.  La résolution "demande l'arrêt immédiat des combats et des hostilités, des attaques contre des civils".

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