La Turquie quitte officiellement un traité protégeant les femmes
La Turquie a officiellement quitté jeudi un traité international visant à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes, une décision du président Recep Tayyip Erdogan vivement critiquée par des associations qui ont appelé à manifester.
Annoncé en mars par M. Erdogan, le retrait de la Turquie de la Convention d'Istanbul, premier traité international à fixer des normes juridiquement contraignantes pour prévenir la violence sexiste, est devenu effectif à minuit.
Cette décision, prise alors que les féminicides n'ont cessé d'augmenter depuis une décennie en Turquie, a suscité la colère des organisations de défense des droits des femmes et des critiques de l'Union européenne, de Washington et du Haut-Commissariat aux droits de l'homme de l'ONU.
Jeudi soir, des manifestants se sont rassemblés dans l'ensemble de la Turquie, notamment à Ankara et à Istanbul, pour exprimer leur soutien à la Convention d'Istanbul.
Plusieurs centaines de personnes ont manifesté à Istanbul en scandant : "Nous ne demeurerons pas silencieux, nous n'avons pas peur, nous ne voulons pas obéir!".
"Nous sommes frustrés. Chaque jour une femme que nous connaissons ou ne connaissons pas est tuée. Il n'y a pas de garantie que demain nous ne subirons pas le même traitement", déclare une manifestante, Nevin Tatar, 35 ans.
Plusieurs milliers de femmes avaient manifesté en mars à travers la Turquie pour dénoncer la décision de M. Erdogan, estimant qu'elle risquait de donner un sentiment d'impunité aux auteurs de violences.
"Valeurs familiales"
Datant de 2011, la Convention d'Istanbul a été ratifiée par 34 pays membres du Conseil de l'Europe. Premier Etat à l'avoir signée, la Turquie est aussi le premier Etat à s'en retirer.
Le gouvernement turc a expliqué son choix en soutenant que ce traité "sape les valeurs familiales" et "normalise l'homosexualité", en raison de son appel à ne pas discriminer selon l'orientation sexuelle.
Contrairement à de nombreux pays peuplés majoritairement de musulmans, l'homosexualité n'est pas illégale en Turquie, mais l'homophobie y est largement répandue.
Les observateurs estiment que la décision de M. Erdogan s'explique avant tout par sa volonté de rallier sa base électorale conservatrice dans un contexte de difficultés économiques, avant la prochaine élection présidentielle en 2023 qui s'annonce difficile pour celui qui dirige la Turquie depuis presque vingt ans.
Parallèlement au retrait de la Convention d'Istanbul, M. Erdogan a d'ailleurs multiplié ces derniers mois les déclarations jugées homophobes par les associations de défense des droits des LGBT+.
Conscient néanmoins du danger de se mettre les électrices à dos, M. Erdogan a dévoilé jeudi un "plan d'action" pour lutter contre les violences domestiques, évoquant par exemple un passage en revue de l'arsenal législatif et une meilleure formation des magistrats à ces questions.
"Certains tentent de présenter notre retrait de la Convention d'Istanbul (...) comme un retour en arrière. Notre lutte contre la violence envers les femmes n'a pas commencé avec la convention et ne prendra pas fin avec ce retrait", s'est défendu M. Erdogan.
Le président a aussi affirmé que la lutte contre les violences visait à "protéger l'honneur de nos mères et de nos filles", un commentaire qui risque de susciter la colère des associations qui lui reprochent de réduire les femmes à la maternité.
"Message dangereux"
Malgré l'inflexibilité de M. Erdogan, plusieurs partis d'opposition ont affirmé qu'ils feraient tout pour que la Turquie réintègre la Convention d'Istanbul.
Des opposants au retrait avaient d'ailleurs saisi la justice pour stopper cette mesure, mais leur recours a été rejeté mardi, au grand dam des ONG.
"Ce retrait envoie un message dangereux à ceux qui commettent des violences, mutilent et tuent: il leur dit qu'ils peuvent continuer de le faire en toute impunité", s'est alarmée jeudi la dirigeante d'Amnesty International, Agnès Callamard.
De fait, les associations de défense des droits des femmes redoutent une augmentation des violences, alors que la situation est déjà critique.
En 2020, 300 femmes ont été assassinées en Turquie par leur conjoint ou ex-conjoint, selon le groupe de défense des droits des femmes "Nous mettrons fin aux féminicides".
Et il n'y a aucun signe de ralentissement de cette tendance, avec 189 femmes tuées jusqu'à présent cette année, d'après la même source.